
ÉDITO
MAYOTTE SOUS LES BULLDOZERS : ET LA DIGNITÉ, QU’EN FAIT-ON ?
À Mayotte, l’aube ne se lève plus dans le silence. Elle s’ouvre sur le vacarme des bulldozers, les pleurs d’enfants arrachés au sommeil, les cris de mères qui ne savent plus où aller. Lundi 7 avril, à Dzoumogné, soixante-treize foyers ont été détruits lors d’une nouvelle opération de « décasage ». Des dizaines de familles réduites à l’errance. Et l’État, pour justifier l’injustifiable, parle d’une « opération humaine ».
Mais de quelle humanité s’agit-il, quand des vies sont effacées sans qu’aucune alternative ne leur soit offerte ? Où est le dialogue, lorsque l’urgence devient un prétexte et la force la seule réponse ?
La population de Mayotte connaît trop bien cette violence institutionnelle. On détruit, on expulse, on nettoie. On parle d’insalubrité, de sécurité, de futur. Mais l’insécurité, c’est aussi dormir dehors après avoir tout perdu. C’est la peur, chaque jour, d’être le prochain. C’est ne plus savoir où ses enfants feront leurs devoirs, ni où l’on dormira le soir venu.
L’État évoque des lois, des délais, des procédures. Sur le terrain, il ne reste que des ruines. Des centaines de personnes sans toit, sans recours, sans voix. Loin de protéger, l’institution fabrique la précarité. Et pire encore : elle la nie, la maquille, la déguise en progrès.
Oui, Mayotte fait face à des défis immenses : mal-logement, explosion démographique, pauvreté, saturation des services publics, pénurie d’eau. Mais aucun de ces enjeux ne justifie la brutalité, les promesses creuses ou l’humiliation. Rien n’autorise qu’on efface ceux qui, malgré tout, tiennent cette île debout par leur labeur et leur espoir, même fragile.
À ceux qui vivent dans les bangas, on renvoie un message implacable : vous n’avez pas votre place. Mais qui peut prétendre qu’un toit, même en tôle, est indigne lorsqu’il est le seul refuge pour une famille ? L’indignité n’est pas dans les matériaux. Elle est dans le regard qu’on porte sur ceux qui y vivent – un regard trop souvent chargé d’un racisme silencieux qui cible les plus précaires : des migrants venus des Comores ou de pays d’Afrique en guerre. Au fond qu’importe, on les met dans le même panier de ceux qui doivent rebrousser chemin.
Les institutions, au lieu d’être les garantes de la justice sociale, deviennent les relais d’une répression banalisée. Ce ne sont pas des zones de non-droit qu’il faut démanteler, mais bien les forteresses d’ignorance et d’indifférence.
La pauvreté n’est pas une faute. La précarité ne devrait pas être une condamnation. Et ni l’origine, ni la langue, ni la couleur de peau ne doivent jamais servir de prétexte à l’humiliation.
Derrière chaque maison détruite, il y a une histoire. Une voix. Un combat. Comme celui de Sarah (le prénom a été changé), lycéenne de Dzoumogné, qui craint que sa maison soit la prochaine. À travers elle, c’est toute une jeunesse qui réclame d’être entendue, respectée, considérée. Une jeunesse plurielle, française, comorienne, rwandaise, congolaise, burundaise. Une jeunesse que les frontières des adultes n’arrivent pas à diviser.
Mathilde Hangard
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À LIRE
UNE INTRIGUE DANS LE MARIGOT IVOIRIEN

Bien que longtemps effacé derrière la confidentialité de la Lettre du Continent, le journaliste spécialiste de l’Afrique Antoine Glaser a publié plusieurs essais sur la politique de la France et ses acteurs officiels et clandestins dans son ancien pré carré. Mais c’est la première fois qu’il s’essaye au roman avec « Sombre Lagune », publié en mars, très logiquement planté en Côte d’Ivoire, le pays le plus symbolique de la Françafrique. L’atmosphère du roman est trouble et moite, à l’instar du climat et de la décomposition du petit monde où se croisent, s’allient et se pourchassent criminels, politiques et espions, dans un mortel ballet.
On suit un personnage désabusé, presque désespéré, honorable correspondant français à la dérive, rejeton des deux pays, qui nous entraîne sur le chemin de sa vengeance, en plein coeur du pouvoir ivoirien. Antoine Glaser souffre à inventer la fiction. Il écrit donc un presque roman à clés, peuplé de vrais personnages, disparus ou pas, connus ou pas, qui rivalisent de cynisme et de cupidité. Abidjan, la turbulente capitale économique de la Côte d’Ivoire, offre la scénographie du drame : les hauts lieux de la vie mondaine et secrète fréquentés par les protagonistes, des Ivoiriens, bien sûr, des Français, quelques Libanais et un espion israélien. Tous cherchent l’argent, le pouvoir, et leurs attributs. Pas de politique ici. Elle est entièrement dissoute dans les affaires où la cocaïne tient une place de choix.
Bamba, le ministre de l’Intérieur, est l’une des personnes qui meurt dans ce récit sourd et fébrile. Il est le parrain des trafics et impose sa loi, de jour et de nuit, légale et illégale. La peur règne. Le portrait d’Abidjan que dessine Glaser est noir et mortifère. La mégalopole se repaît d’une globalisation de la corruption et du crime. Mais les partenaires du pays ne sont pas mieux servis. Les espions occidentaux, services états-uniens anti-drogue, Mossad israélien et, surtout, diplomates et agents français, plus antipathiques les uns que les autres, ménagent le pouvoir local pour rester dans les grâces, tout en épiant les transactions et les rapports de forces qui se dessinent dans l’ombre.
À lire : Antoine Glaser, Sombre lagune, Fayard, 248 pages, 20,90€.
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AGENDA
Samedi 19 avril
UN MOMENT ENSEMBLE AVEC ORIENT XXI

Vous pouvez dès à présent prendre votre billet en cliquant sur ce lien.
Samedi 19 avril, à partir de 18h30
FGO Barbara, 1 rue Fleury, 75018 Paris
Prévente 13 € ; Tarif plein 16 €
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