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La lettre hebdomadaire #201

Ghislaine Dupont et Claude Verlon, victimes d’un réseau criminel et familial

L'image représente un fond rouge intense. Au centre, une silhouette de visage est esquissée en noir. Cette silhouette est stylisée, sans détails prononcés, et semble se fondre dans des coups de pinceau fluides qui s'étendent vers la gauche. Des gouttes de peinture noire s'écoulent à partir de la silhouette, créant une impression de mouvement ou d'émotion intense. L'ensemble de l'œuvre laisse transparaître une ambiance sombre et expressive, évoquant des thèmes de réflexion ou de tourment intérieur.
Sans titre, 2010, Mahi Binebine.
© Mahi Binebine

ÉDITO

UNSEAU CRIMINEL ET FAMILIAL DERRIÈRE LE MEURTRE DES JOURNALISTES DE RFI

Par Nathalie Prévost

L’enquête sur le double enlèvement suivi de l’assassinat des journalistes de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon, le 2 novembre 2013, à Kidal, dévoile peu à peu un réseau criminel et familial méthodique – malheureusement toujours d’actualité – qui en dit beaucoup sur la société de la région et ses ambiguïtés, ainsi que sur le cynique commerce des rançons d’Al-Qaida au Sahel. À l’occasion d’une conférence de presse, le 29 octobre, l’association qui rassemble les amis de Ghislaine et Claude, partie civile dans le dossier instruit au pôle antiterroriste du tribunal judiciaire de Paris, a livré plusieurs nouvelles informations.

Les investigations sur la téléphonie, bien que très laborieuses, ont finalement établi l’étendue du réseau responsable de l’enlèvement, au-delà des quatre ravisseurs et du commanditaire, Seidane Ag Hita, déjà identifiés dans le dossier. Le crime a été préparé très en amont du rapt, et les deux journalistes étaient suivis et surveillés dans leurs déplacements dès leur arrivée à Kidal, le 29 octobre.

Les fadettes de la compagnie de téléphonie Malitel prouvent qu’à partir du 29 octobre au matin le téléphone portable (retrouvé dans le véhicule en panne) du chef du commando et chauffeur du pick-up des ravisseurs, Baye Ag Bakabo, était régulièrement connecté, plusieurs fois par jour, avec une demi-douzaine d’autres appareils bornant à Kidal pour de brèves conversations et, le 29 et le 31, avec un numéro algérien, pour des échanges plus longs, comme s’il rendait compte à son commanditaire (ou chef hiérarchique).

Baye Ag Bakabo.
Baye Ag Bakabo.
© DR

L’homme qui faisait le guet et qui a probablement donné le top de l’enlèvement, le 2 novembre, à la sortie de l’interview d’un notable indépendantiste local, s’appelait Hamadi Ag Ma. Il a été tué en 2017 dans des affrontements entre factions touareg loyaliste et indépendantiste et il avait été, en 2012, le garde du corps de Bilal Ag Acherif, le chef du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). Ag Ma a risqué sa vie dans les combats contre les djihadistes du Mujao en 2012, à Gao, et il a pourtant participé au rapt crapuleux de novembre 2013, revendiqué par Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). Quand le ministre français de la Défense de l’époque, Jean-Yves Le Drian, s’est exclamé « ils ont été trahis », c’était peut-être à cela qu’il faisait allusion.

En réalité, Hamadi Ag Ma illustre particulièrement bien les ambivalences de la société touareg de Kidal, de certains de ses acteurs politiques et de beaucoup de ses cadres militaires. Si Ag Ma rallie les ravisseurs djihadistes de Ghislaine et Claude, c’est pour des raisons qui n’ont rien de politique ni de religieux : l’appât du gain, au cœur du business des otages – bien documenté, notamment, par le témoignage d’Olivier Dubois –, mais aussi les relations familiales. Ag Ma a grandi dans la maison de Seidane Ag Hita, le commanditaire cité plus haut. Leurs grands-pères sont frères. Ag Ma est particulièrement proche du jeune frère de Seidane, Cheikh Ag Hita, et les deux hommes s’activent ensemble dans des affaires de trafic de drogue. Ag Ma était tout cela à la fois : il est mort pour l’Azawad, a combattu pour la cause, mais il a aussi grandi auprès de celui qui est devenu le bras droit de Iyad Ag Ghali – le tout-puissant chef de la galaxie d’Al-Qaida au Sahel –, il s’est affairé dans la drogue et le crime et a prêté main forte à un enlèvement contre rançon. Car Al-Qaida, sous des dehors religieux et idéologiques, utilise les méthodes de la mafia calabraise. Pour l’argent.

Seidane Ag Hita, en octobre 2020, accueillant plus de 200 prisonniers djihadistes libérés contre quatre otages.
Seidane Ag Hita, en octobre 2020, accueillant plus de 200 prisonniers djihadistes libérés contre quatre otages.
© Capture d’écran, vidéo d’Aqmi.

Un autre personnage, plus éminent, apparaît de plus en plus au centre de la photo : Cheikh Ag Haoussa, tué dans un attentat à l’explosif – qui ressemble comme deux gouttes d’eau à une opération de service secret – en sortant d’une réunion au camp de la Minusma, toujours à Kidal, le 8 octobre 2016, trois ans après le meurtre de Ghislaine et Claude. L’homme avait fière allure et était très connu dans les mouvements touareg. Il avait combattu aux côtés de Iyad Ag Ghali dans les années 1990, puis en 2007-2009 au sein de l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement. En 2012, quand Iyad Ag Ghali crée Ansar Dine pour dribbler un MNLA renforcé par l’arrivée de centaines de soldats de l’armée libyenne de retour dans le nord du Mali, Cheikh Ag Haoussa le rejoint et devient son bras droit. Il est soupçonné, notamment, d’avoir dirigé la prise sanglante de la garnison d’Aguelhoc.

Mais, en janvier 2013, l’armée française entre en scène. La troupe de Iyad Ag Ghali est dispersée. Serval occupe Kidal, désormais quadrillée par les rivaux indépendantistes de Iyad Ag Ghali revenus de leur exil à la frontière algérienne. L’état-major du MNLA contrôle les véhicules, relève les numéros, enregistre les nouveaux venus. Parmi ces derniers, beaucoup sont d’anciens combattants d’Ansar Dine recrutés par Iyad Ag Ghali dans sa communauté des Ifoghas et blanchis par une nouvelle étiquette, celle du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA). Cheikh Ag Haoussa est, sans surprise, le chef d’état-major militaire du nouveau mouvement. Très vite, l’homme s’impose naturellement comme un interlocuteur central de la Minusma et de Serval.

Cheikh Ag Haoussa.
Cheikh Ag Haoussa.
© DR

Ghislaine Dupont l’avait interviewé le 30 octobre. Le lendemain, elle avait dit de lui à sa rédaction : « Le personnage est glaçant. » Le matin de l’enlèvement, le 2 novembre, Cheikh Ag Haussa est vu dans son propre véhicule en compagnie du chef des ravisseurs, Baye Ag Bakabo, devant le camp de la Minusma, où il entre seul, tandis que Bakabo l’attend dans la voiture. Les soldats français interrogés par le juge ont déclaré que, juste après l’assassinat, ils avaient vu, chose notable, la voiture de Cheikh Ag Haoussa revenant à Kidal depuis la route de l’aéroport, à l’est de la ville. C’est à 12 km dans cette direction que les corps des deux journalistes ont ensuite été retrouvés par l’armée française, à proximité du véhicule en panne de moteur, identifié par le même Cheikh Ag Haoussa. À en croire un témoin, Cheikh Ag Haoussa jouait toutes les cartes en même temps mais n’était loyal, en réalité, qu’à son ami Iyad Ag Ghali. À Kidal, il cherchait à affaiblir le MNLA, dont il jalousait les appuis français et onusiens et l’influence dans la ville.

L’enlèvement a été revendiqué par un autre proche de Iyad Ag Ghali, son cousin chef de katiba d’Al-Qaida, Abdelkrim Taleb (le Touareg), dont l’unité a été, après la mort de ce dernier, confiée au commandement de Seidane Ag Hita, désormais numéro deux de Iyad. Le chef du commando, Baye Ag Bakabo, a lui-même été recruté par Seidane, selon un témoin, après un séjour en prison pour une affaire de drogue, où il a partagé sa cellule avec un neveu de Seidane, arrêté, lui, pour une affaire d’otages. Les deux Touaregs détenus à Bamako, très loin de leur base, ne pouvaient que fraterniser. À sa sortie de prison, Bakabo embrasse la cause djihadiste, se défait des biens acquis dans le trafic de drogue et devient chauffeur pour Al-Qaida : lorsqu’il revient, lui aussi, à Kidal, après la débâcle de Konna, en janvier 2013, il s’enregistre auprès du MNLA comme militant du HCUA et fournit le numéro de châssis du pick-up qui deviendra le tombeau des deux Français.

Le puzzle est presque assemblé. Il reste à éclaircir les circonstances de la fuite des auteurs de l’assassinat, sans doute recueillis par deux motos dans le désert, et à identifier quelques complices. Trois des membres du commando sont morts, la plupart sous les balles et les bombes de l’armée française. C’est aussi le cas d’Abdelkrim Taleb, de Cheikh Ag Haoussa et du guetteur multicarte, tué, lui, dans des combats entre Touaregs. Mais il reste un survivant du commando. Hamadi Mohamed combat dans la katiba Ansar Dine, sous le commandement de Seidane Ag Hita, dans le fief de Iyad Ag Ghali, dans l’extrême nord de la région de Kidal. Le 14 juillet dernier, il a participé à une embuscade contre les forces armées maliennes à 40 km de Kidal. Seidane Ag Hita et Iyad Ag Ghali sont eux aussi toujours vivants. Ils continuent de prendre et de vendre des otages. Au Mali, ces derniers sont désormais Émiratis, Iranien, Indiens, Chinois, Bosniaques. Trois d’entre eux ont été libérés hier à Gao, moyennant rançon.

L’enquête française, douze ans après, peut sembler à certains un peu vaine. Dans le Mali en flammes, quel procès espérer ? La France et la Minusma refusent toujours, au nom du secret défense, de déclassifier les rapports d’enquête produits à chaud sur le terrain, pour des raisons qu’on peine à comprendre. Si ce n’est, peut-être, la révélation de leurs relations coupables avec des informateurs jouant double ou triple jeu et impliqués dans le crime. Pourtant, à Kidal comme à Bamako, la vérité sur le double meurtre est nécessaire. Car les acteurs n’ont pas changé. Et ils tiennent le destin du Mali entre leurs mains.
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