
DANS L’ACTU
GENÈVE ET LES BIYA. UNE HISTOIRE D’AMOUR MOUVEMENTÉE
Les récents démêlés judiciaires de Brenda Biya, la fille du président du Cameroun, ont à nouveau mis en lumière le mode de vie fastueux de la famille en Suisse. La fille de Paul Biya a été reconnue coupable de « diffamation », « calomnies » et « injures » par la cour de Genève le 19 mars 2025, sur une plainte de la chanteuse camerouno-nigériane Dencia Sonkey. Sur fond de différend sur la commercialisation de produits cosmétiques, Brenda Biya avait traité l’artiste de « trafiquante de drogue » et de « pute cocaïnomane » sur les réseaux sociaux.
Mais cette récente affaire démontre surtout que la fille Biya vit en partie à Genève et qu’elle s’y trouvait au moment des faits reprochés. Le journaliste François Pilet a révélé le contenu de l’ordonnance pénale sur le site d’information Gotham City. « Cette affaire est plus qu’une simple dispute entre deux personnalités publiques. Elle prouve que la fille du président camerounais vit en partie à Genève », a-t-il déclaré à Swissinfo.
Le président, âgé de 92 ans, a ses habitudes à l’Hôtel InterContinental de Genève, où sa fille occupe une chambre à l’année. Selon l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), un consortium de journalistes d’investigation, Paul Biya aurait séjourné au total quatre ans et demi à l’étranger, principalement en Suisse, entre 1982 et 2018. Sur la même période, ses dépenses à l’InterContinental sont estimées à 150 millions de francs suisses (160 millions d’euros), à 40 000 francs (42 800 euros) la nuitée. Outre sa fille, une délégation de dizaines de personnes y logent également.
Les déplacements dispendieux de Paul Biya à Genève ont commencé bien avant son élection, comme le raconte l’ancien directeur de l’InterContinental et grand ami du président, Herbert Schott, dans son livre de 2007 L’Hôtelier. L’amitié entre les deux hommes est née alors que l’un était chef de cabinet de la présidence camerounaise et l’autre chef de la réception de l’hôtel.
Ces séjours privés agacent la société civile et la diaspora camerounaises, qui soupçonnent le Trésor public de les financer, alors que le pays traverse de nombreuses crises. La guerre dans les régions anglophones a fait au moins 6 500 morts depuis 2017, selon Human Rights Watch. Sur l’indice de perception de la corruption publié par Transparency International, le Cameroun se classe 140e sur 180 en 2024. S’ajoutent à cela un rétrécissement de l’espace civique toujours plus important et la répression contre les journalistes, tragiquement illustrée par l’assassinat de Martinez Zogo en janvier 2023.
C’est dans ce contexte que certains membres du Collectif des organisations démocratiques de la diaspora (Code), qui réclame l’alternance politique au Cameroun, se sont transformés au fil des années en « Biya spotters ». Ils poursuivent le président lors de ses déplacements à l’étranger pour l’interpeller et manifester leur indignation face à ses dépenses somptuaires.
À un mois de la date légale du dépôt des candidatures pour la prochaine présidentielle, fixée en octobre, Paul Biya n’a pas encore fait savoir s’il se présenterait une nouvelle fois, comme à son habitude.
L’histoire d’amour entre la famille Biya et Genève avait déjà été troublée en 2019 par la condamnation de six gardes du corps après l’agression, devant l’hôtel, d’un journaliste de la Radio Télévision Suisse (RTS) qui couvrait un rassemblement d’opposants. Ce jugement a été confirmé en appel en février 2024.
Au Cameroun, pris dans une lutte quotidienne pour leur survie, les populations ne s’intéressent plus guère ni aux frasques ni aux absences de leur inusable président.
Alexia Sabatier
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À LIRE
CAPOEIRA : LA CULTURE AFRO-DIASPORIQUE EN MOUVEMENT
Capturer et exposer les traditions afro-brésiliennes : c’est ce que propose Stéphane Herbert dans Rituels du Brésil, paru aux éditions Hémisphères en février. Le photographe explore la culture afrodescendante avec des images riches en couleurs célébrant les mouvements des corps à travers trois rituels : la capoeira, art martial mêlant danse et combat, le candomblé (une religion afro-brésilienne importée au Brésil par les esclaves, aujourd’hui l’une des croyances les plus populaires du pays) et le carnaval.

Cette galerie de photos hypnotiques prises entre 1995 et 2005 plonge les profanes au cœur d’une culture vivante toujours marquée par une « mémoire mythique fondamentale ». Dans la continuité du photographe et ethnologue Pierre Verger, Stéphane Herbert recense les traditions liant le Brésil noir et l’Afrique à travers une mise en lumière poétique. Le lecteur est plongé dans l’effervescence et l’affirmation du mouvement culturel afro-diasporique parti de Bahia, la capitale noire du Brésil qui a abrité le plus grand marché d’esclaves du pays du XVe au XIXe siècle, avec plus de 4 millions d’Africains déportés par les colons portugais jusqu’à l’abolition de l’esclavage, en 1888.
C’est à cette période qu’est née la capoeira. Interdits de pratiquer le combat, les esclaves se cachent derrière des danses inspirées des mouvements traditionnels de lutte africaine. Dans son article « Métissage au Brésil », paru en 1993, Pierre Verger souligne l’important métissage culturel qu’incarne la capoeira, devenue au fil des siècles un art proprement afro-américain inscrit au Patrimoine immatériel de l’humanité en 2014.
Dans sa thèse de 2020, « La capoeira et les arts de combats noirs : histoire effacée, techniques invisibles (1905-1984) », le chercheur Olivier Malo raconte l’émergence, dans les années 1980, d’une vision politique de cet art martial qui l’a transformé en instrument de la lutte des races. La discipline n’y est plus seulement une représentation de la culture africaine mais elle reflète également les violences de l’esclavage et symbolise la capacité de résistance de la culture noire : « La capoeira est ici un outil de libération des esclaves dans le Brésil colonial », écrit-il.
En initiant aussi le lecteur au candomblé et au carnaval, Stéphane Herbert honore le métissage culturel afro-brésilien dans une œuvre photographique qui célèbre le mouvement, la couleur et l’imaginaire noir.
Alexia Sabatier
À lire : Stéphane Herbert, Rituels du Brésil, éditions Hémisphères, février 2025, 96 pages.
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LES ARTICLES DE LA SEMAINE
Afrique du Sud. Ruth First, militante infatigable de la lutte contre l’apartheid
Histoire « Je me considère comme africaine et il n’y a aucune cause qui me tienne plus à cœur » : né en 1925, la journaliste, autrice, universitaire et militante révolutionnaire sud-africaine Ruth First a été assassinée par le régime d’apartheid le 17 août 1982 à Maputo. Le centenaire de sa naissance est l’occasion de redécouvrir le parcours de cette infatigable combattante.
Par Bouna Mbaye
Rwanda. L’ancien colon face aux vérités oubliées à propos des Grands Lacs
Histoire La rupture diplomatique entre la Belgique et le Rwanda fait remonter de vieilles rancœurs historiques. Parmi celles-ci, le fait que le colonisateur belge aurait sciemment voulu couper Kigali d’une partie de son territoire, située dans le Nord-Kivu. De récents travaux tendent à prouver que cette accusation est tout à fait fondée.
Par Colette Braeckman
La débrouille acharnée des musiciennes malgaches
Musique À la faveur d’une enquête coup de cœur, le DJ Boris Paillard est allé à la rencontre des musiciennes malgaches. Sur une scène pleine de surprises, ces artistes démontrent une infatigable capacité de survie en milieu hostile et deviennent une source d’inspiration pour les femmes malgaches en quête d’émancipation.
Par Boris Paillard
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IN ENGLISH
Rwanda : The former colonizer confronts forgotten truths about the Great Lakes
History The diplomatic rift between Belgium and Rwanda has unearthed old historical grievances. Among them is the accusation that the Belgian colonizers deliberately sought to separate Kigali from a part of its territory located in North Kivu. Recent studies tend to prove that this accusation is entirely founded.
By Colette Braeckman
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