FLOTTILLE GLOBAL SUMUD. JOURNAL DE BORD #5

De Tunis à Gaza. Le calme avant la tempête

Épisode 5 · Zukiswa Wanner, écrivaine et activiste sud-africaine, publie dans Afrique XXI son journal de bord de la flottille Global Sumud, en route pour Gaza. Attaquée dans la nuit du 23 au 24 septembre, la flottille repart de Grèce pour son ultime étape et s’attend à être de nouveau prise pour cible.


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L'image présente un voilier sur une mer turquoise calme, sous un ciel d'un bleu éclatant sans nuages. Le bateau, de couleur blanche, arbore plusieurs drapeaux, dont celui de la Palestine, de la Grèce, et d'autres drapeaux en bandes horizontales typiques. À bord, on aperçoit des personnes qui semblent profiter d'une journée en mer. Les vagues légères créent une ambiance paisible, et l'horizon lointain s'étend, avec d'autres bateaux visibles au loin. L'ensemble évoque une atmosphère de liberté et d'aventure maritime.
Photo prise depuis le Mendi Réincarné, le 25 septembre 2025.
© Zukiswa Wanner

Vendredi 26 septembre.

Avec mes amis kényans, nous le prononçons « unga », comme le nom du plat à base de farine de maïs consommé en Afrique orientale et en Afrique australe. Selon les pays, cette bouillie est connue sous les noms d’ugali, de ntshima, de sadza, de pap ou d’isitshwala. Avec mes amis, nous disons « unga » parce que c’est en cette saison chaque année que les présidents africains se rendent à New York à l’Assemblée générale des Nations unies [United Nations General Assembly, UNGA, NDLR], aux frais du contribuable, avec de grandes délégations, et qu’ils montent à la tribune pour parler des droits et de la démocratie que l’Occident leur refuse et qu’ils ne concèdent pas à leurs propres citoyens. Parce que, comme les fouines qu’ils sont, ils cherchent toujours à obtenir la validation de l’Empire.

L’Assemblée générale des Nations unies bat son plein cette semaine. Cette année, la Palestine est au centre de l’attention, et même au devant et à l’arrière plan. Cela a été particulièrement intéressant à observer pour moi, car, en juin 2023, je croyais sincèrement que le monde avait oublié la Palestine. Ainsi, lorsque j’ai rédigé le long essai intitulé Vignettes of a People in an Apartheid State [voir encadré, NDLR], je l’ai publié avec le drapeau palestinien estompé en arrière-plan. Je croyais qu’à l’exception des Palestiniens eux-mêmes et de quelques-uns d’entre nous qui savions et qui avions su, le rêve d’une Palestine libre n’était que cela. Un rêve.

Puis vint le 7 octobre 2023. Beaucoup de choses restent encore à révéler et nous n’en connaîtrons peut-être jamais beaucoup d’autres. Mais nous savons aujourd’hui qu’une partie de ce que certains médias mainstream nous ont raconté sur cette journée était fausse et a même parfois été démentie par les médias israéliens, tandis que certains médias de l’Empire, que nous avons appris à considérer comme « libres » et « objectifs », se sont révélés être des outils de propagande en faveur du sionisme et n’ont fait aucun effort pour le cacher.

Mais revenons à l’UNGA. Pendant qu’elle se tenait, un président africain sioniste qui avait « créé des emplois » en envoyant ses ressortissants travailler dans les champs israéliens dans des conditions proches de l’esclavage a perdu les élections1.

À l’UNGA, le bal des faux-nez

Un autre président africain sioniste – qui fut le premier et, si je me souviens bien, le seul à « soutenir Israël » lorsque l’Iran a riposté après les bombardements israéliens –, sous le règne duquel nombre de ses concitoyens ont été massacrés, ont disparu ou ont été emprisonnés pour avoir refusé un projet de loi de finances qui ne tenait pas compte des intérêts du peuple, celui qui a été présenté comme « notre homme en Afrique » par « Genocide Joe » (le surnom de Joe Biden) et Chatham House, a prononcé un discours enflammé au cours duquel il a demandé un siège à la table du Conseil de sécurité plutôt que de la démolir, comme Biko [Steve Biko, militant anti-apartheid décédé en prison en 1977, NDLR] le lui aurait conseillé. Je soupçonne fort qu’il espérait devenir l’élu chargé de représenter les 54 pays d’Afrique.

Zukiswa Wanner.
Zukiswa Wanner.
© Zukiswa Wanner / Afrique XXI

Un président africain « antisioniste » [Cyril Ramaphosa, NDLR] a fermement condamné le génocide et évoqué la nécessité d’une « solution à deux États ». Cher lecteur, le propre mouvement anti-apartheid de ce président n’a pas pris au sérieux les bantoustans pendant l’apartheid ; son pays continue d’envoyer du charbon pour éclairer un génocide ; il n’a pas rompu ses relations diplomatiques avec Israël malgré le vote de son propre Parlement en faveur de la fermeture de l’ambassade israélienne dès novembre 2023 ; aucun citoyen ou résident permanent de son ministère public n’a été poursuivi pour avoir servi dans les forces d’occupation israéliennes, et le beau-frère de ce président, qui dirige la Confédération africaine de football, n’a pas dit un mot sur le fait que la Fifa devait exclure Israël du football international. Et lors de la campagne #KickoutIsrael, il est resté silencieux quand des manifestants pro-palestiniens ont été arrêtés durant un match pour avoir brandi des affiches et scandé des slogans. N’oublions pas que la semaine de l’UNGA est également celle où nous avons assisté à quatorze attaques de drones contre une flottille pacifique de civils se rendant à Gaza pour ouvrir un corridor humanitaire afin d’acheminer de la nourriture, des médicaments et du lait maternisé.

Malgré ces pays africains, nous savons aujourd’hui que l’esprit de Simón Bolívar et de José Martí n’est pas mort. Gustavo Petro, de Colombie, nous a rappelé les anciennes Assemblées générales des Nations unies avec ses discours enflammés pour sensibiliser le monde. Nous nous sommes souvenus de ce fils de Cuba, grand internationaliste, dont les soldats, solidaires des peuples angolais et namibien, ont fait vivre un enfer au régime sud-africain d’apartheid. Nous nous sommes souvenus d’Hugo Chávez, du Venezuela, s’exprimant au lendemain du passage sur le podium d’un « diablo » [Le président états-unien George W. Bush, NDLR], que Castro surnommait Shrub, « le petit buisson », à en croire ce qu’écrit Ignacio Ramonet dans Fidel Castro : biographie à deux voix (Fayard, 2007).

Le monde ne semblait pas prêt pour Castro ou pour Chavez, mais on sait qu’il l’est aujourd’hui, comme le montre le soutien mondial à Gaza et à la Palestine, et on espère que les politiciens égoïstes pourront écouter leur peuple et Gustavo Petro, et adhérer à Unite4Peace [Mouvement mondial de mobilisation pour la paix culminant lors de la Journée internationale pour la paix, le 21 septembre.] avant que nous ne tombions dans le précipice du capitalisme et de l’anti-humanité. Même s’il n’y a probablement pas grand-chose à applaudir lorsqu’un gouvernement européen de droite, celui de l’Italie, annonce l’envoi de deux navires de guerre pour secourir ses citoyens en cas d’attaque par les FIO [Forces israéliennes d’occupation, NDLR] (je ne suis pas assez naïve pour croire qu’un allié d’Israël empêchera Israël de nous attaquer), et qu’un autre gouvernement européen, la Grèce, déclare qu’il nous protégera dans ses eaux territoriales d’où j’écris ces lignes. Alors que nous rassemblons des provisions, que d’autres bateaux nous rejoignent et que nous nous préparons pour la dernière étape du voyage, je suis impatiente de connaître les détails de l’offre navale de l’Espagne. Ira-t-elle jusqu’à escorter la flottille jusqu’à Gaza, et que se passera-t-il alors en cas d’interception par Israël ? Leur position sur la Palestine en tant que pays a été plutôt correcte, mais je modère toujours mes espoirs politiques car les politiciens finissent toujours par décevoir.

« On peut mourir de soif les pieds dans l’eau »

Sur un plan plus personnel, les hommes à bord de ce bateau, qui peuvent sembler machos à première vue, mais sont en réalité très tendres et toujours prêts à dire un mot gentil, à écouter avec compassion et à faire une bonne blague quand il le faut, n’ont pas réussi à attraper un seul poisson, malgré leurs liens prétendus avec la mer et leur amour de la pêche. Et pourtant, nous avons une canne à pêche. J’ai arrêté de filmer, car le plus souvent, quand l’un d’eux crie « J’en ai un ! J’en ai un ! », et que deux autres viennent l’aider à le remonter, ils reviennent les mains vides. Dans la langue de ma mère, il existe un proverbe qui dit qu’on peut mourir de soif les pieds dans l’eau. C’est sûrement de cela qu’il s’agit.

Plus sérieusement, nous avons appris hier que les sionistes, tel un cheval agonisant au moment d’envoyer sa dernière ruade, prévoient de mener une attaque meurtrière contre la flottille. Nous verrons certainement ce qui se passera alors et ce que signifiera la protection promise par l’Italie et par l’Espagne, une fois que nous aurons quitté les eaux grecques, demain. Demain, des manifestations de solidarité auront lieu à travers le monde. La démonstration, s’il en était besoin, que le monde est uni contre le génocide, qu’il exige une Palestine libre et qu’il attend des gouvernements du monde qu’ils fassent de même.

Hier soir, pendant le quart de nuit, nous n’avons repéré que trois drones. Un ami de chez moi m’a demandé si j’aimais regarder le ciel, car il avait entendu dire que le spectacle des étoiles au-dessus de la Méditerranée était romantique. Je lui ai répondu : « Mec, personne n’essaie de regarder ça. Tu peux croire que c’est une étoile filante, mais en fait c’est un drone qui descend sur toi. »

C’est ça, le problème, avec les sionistes. Ils détruisent tout ce qu’ils touchent. Ils tuent les êtres humains. Ils tuent la nature. Ils tuent leur propre capacité à ressentir de l’empathie pour qui n’est pas eux-mêmes. Ils tuent l’art en qualifiant [l’actrice et productrice israélienne] Gal Gadot de comédienne (salut à mon humoriste préféré Matt Ketai). Et ils tuent même la beauté du ciel nocturne. C’est sûrement ce que signifiait l’autocollant que m’avait donné mon amie palestinienne Dana quand j’avais 10 ans : « Le sionisme tue ».

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1Au Malawi, Lazarus Chakwera, qui avait envoyé des jeunes Malawites travailler dans des fermes abandonnées après les attaques du Hamas, a été battu par Peter Mutharika ce 24 septembre.

2Au Malawi, Lazarus Chakwera, qui avait envoyé des jeunes Malawites travailler dans des fermes abandonnées après les attaques du Hamas, a été battu par Peter Mutharika ce 24 septembre.