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Au centre de Mutobo, la « rééducation » à la rwandaise

Reportage · Alors que Kigali justifie du bout des lèvres son soutien au groupe armé M23 par la menace que constituerait encore la présence d’anciens génocidaires de 1994 dans l’est de la RD Congo, un centre s’occupe de démobiliser et, surtout, de rééduquer les anciens rebelles qui se rendent. Un programme qui suscite quelques critiques.

L'image montre un groupe de personnes assises à l'extérieur. Elles portent toutes des t-shirts bleu clair avec le texte "RWANDA DEMOBILISATION AND REINTEGRATION COMMISSION (RDRC)" imprimé au dos. On peut apercevoir des chaises en plastique vertes sur lesquelles elles sont assises. À l'arrière-plan, plusieurs personnes sont en train de discuter, et un bâtiment en briques apparaît légèrement flou derrière eux. L'ambiance semble conviviale et engagée, avec des participants qui semblent suivre une activité ou une formation en lien avec leur programme.
Dans le centre de Mutobo, le 28 août 2025.
© Guillaume Brunero

Devant son futur restaurant, Bonaventure Bimenyimana n’est pas peu fier : large sourire, casquette vissée sur la tête, il démarre la visite du chantier. Il tient à la faire dans un français, qui, il le reconnaît, est un peu lui aussi de bric et de broc : « Ici c’est ma maison, ma “maison-business”, je vais faire un resto-bar-hôtel », explique cet ancien milicien des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).

Avec 600 m2 sur deux niveaux et cinq chambres disponibles, le futur établissement, fruit de l’extension d’une ancienne petite concession commerciale, aura de quoi recevoir. Il est situé à l’orée du célèbre parc national aux gorilles des Virunga, non loin de Kinigi, où, désormais, le premier prix de certaines nuits d’hôtel est de 2 000 dollars. « Voilà, c’est la salle de restaurant, de réunion, de séminaires, etc. Là, derrière, il y aura des chambres à coucher. Ici je suis content, la sécurité est totale, ça me donne beaucoup de joie. » Il espère ouvrir en décembre.

Terminée l’instabilité permanente de la guérilla FDLR dans l’est de la République démocratique du Congo (RD Congo) : l’ex-officier a déposé les armes en 2019 et ne regrette pas d’être rentré dans ce Rwanda. En remontant l’escalier qui mène à l’étage de son futur établissement, il revient sur trois décennies de lutte armée.

« L’ennemi c’était les Rwandais… enfin… le FPR ! »

Tout commence avec le génocide perpétré contre les Tustis du Rwanda entre avril et juillet 1994 qui a fait près de 1 million de morts. Engagé dans les Forces armées rwandaises (FAR) du régime génocidaire de Juvénal Habyarimana, Bonaventure Bimenyimana fuit au Zaïre voisin avec le reste de cette armée devant l’avancée du FPR de Paul Kagame. Avec elle, près de 1,5 million de civils, dont un nombre incalculable de tueurs, prennent la fuite.

Miliciens hutus Interahamwe et ex-FAR se réorganisent dans les camps de réfugiés et créent un nouveau mouvement extrémiste, l’Armée de libération du Rwanda, (ancêtre des FDLR). Bonaventure Bimenyimana s’y engage immédiatement, mû par une idée fixe : le retour, et la revanche sur les « Tutsis » survivants, désormais maîtres du pays des Mille Collines.

En 1997, au terme de la première guerre au Congo1, Kinshasa tombe aux mains du clan Kabila : le père, Laurent Désiré, puis son fils joseph, qui lui succède à sa mort, en 2001. Le tombeur de Mobutu demande ensuite à ses alliés rwandais de quitter le pays, tandis que les FDLR poursuivent leur rébellion dans le Kivu. Notre témoin y dirige alors une section de combats. À la suite de ses faits d’armes, il gagne le grade de major et le surnom de « Cobra ».

Bonaventure Bimenyimana, l'ex-capitaine Cobra, devant son futur hôtel-restaurant, près du parc national des Virunga (août 2025).
Bonaventure Bimenyimana, l’ex-capitaine Cobra, devant son futur hôtel-restaurant, près du parc national des Virunga (août 2025).
© Guillaume Brunero

Sur le balcon extérieur, l’ancien soldat s’épanche, brièvement : « Depuis le Congo, on se battait pour rentrer au Rwanda et regagner la guerre. C’était ça l’objectif. J’étais officier S3, chargé des opérations militaires dans le Nord-Kivu, puis dans le Sud-Kivu. L’ennemi, c’était les Rwandais… Enfin… le FPR ! »

« Le choix de la raison »

Dans le Masisi, il « chasse le Tutsi ». Et tout est permis pour la survie des 3 000 soldats que comptait, selon lui, le mouvement : « Dans les forêts, la vie est dure. Quand tu es soldat, pour trouver quelque chose à manger, tu vas le prendre aux populations locales, par la force. On vole, on pille, oui... »

Le sourire et la bonhomie ont disparu et, sous la visière de sa casquette, le regard s’assombrit. La chemise Ralph Lauren si légère tout à l’heure sur ses épaules d’entrepreneur semble peser bien trop lourd tout à coup. « C’était de la manipulation politique, les militaires exécutent les ordres des politiques », s’exonère-t-il soudain avant de poursuivre la visite au pas de course. Toujours charpenté à 55 ans, l’ex-« Cobra » serpente au milieu des gravats et des pièces désertes (aucun ouvrier n’y travaille ce jour-là). Bonaventure Bimenyimana veut laisser le passé derrière lui : « Là, ce sera la cuisine. » Il dit être un homme pressé car il a « perdu trop de temps ». Il encourage aujourd’hui les FDLR à faire, comme lui, « le choix de la raison ».

D’autant que leur situation militaire s’est encore dégradée depuis la conquête en début d’année de Goma, de Bukavu et de Walikale, dans le Nord-Kivu et dans le Sud-Kivu, par le mouvement M23. Le groupe armé, en sommeil depuis douze ans, a repris l’offensive, appuyé selon l’ONU par l’armée rwandaise2. Kigali s’en défend officiellement mais reconnaît des « mesures de défenses3 » dans la zone, arguant de la présence des FDLR. Ce groupe constituerait une menace pour sa sécurité intérieure et pour les rwandophones de RD Congo, en particulier les Tutsis.

Depuis février, plusieurs dizaines de captifs du M23, désignés comme des ex-FDLR, ont été remis au Rwanda par le mouvement et transférés directement à Mutobo, principal centre de démobilisation et de réinsertion dans le nord du pays.

9 000 combattants démobilisés depuis 2001

Bonaventure connaît bien ce centre, où il est passé en 2019. À l’entendre, c’est à son programme de quelques mois seulement qu’il doit tout : formation, aide financière pour acheter un lopin de terre, bribes de savoir-faire pour le cultiver. Et c’est grâce aux bénéfices engrangés qu’il peut maintenant construire son fameux hôtel-restaurant. Il revient souvent à Mutobo saluer les équipes du centre et encourager les nouveaux pensionnaires.

Cet après-midi du 28 août, ils sont 145, vêtus d’un tee-shirt bleu estampillé « RDRC », pour « Rwanda Demobilisation and Reintegration Commission » (« Centre de démobilisation, désarmement, réinsertion et réintégration des anciens combattants »), éparpillés en petits groupes et assis sur des chaises de plastique vert dans les jardins, entre des baraquements de brique. Ils sont concentrés sur un exercice sur l’entrepreneuriat. Un travail qui fait partie de la première phase théorique de l’apprentissage (trois mois), avant de passer à un savoir plus pratique (neuf mois).

L’ambiance est studieuse, bien que parfois perturbée par les demandes insistantes, les pleurs ou les rires d’enfants : certains anciens rebelles ont en effet intégré Mutobo avec des membres de leur famille.

Selon le directeur, Cyprien Mutoyi, un major à la retraite, depuis 2001, plus de 12 000 personnes ont été pensionnaires de ce centre semi-ouvert. Parmi eux, 9 000 étaient des FDLR, assure le directeur : « Il y a eu soixante-quatorze phases de démobilisation auprès d’ex-combattants, d’abord des FAR, puis des APR, et des FDLR. » Nourris, logés, soignés… Ils sont pris en charge à 100 %, par seize encadrants, dont un infirmier et un psychologue.« Nous, on ne force pas, ils sont rentrés au pays de leur plein gré, assure Francis Musoni, le secrétaire général du centre. On leur donne le temps, c’est la “cooling phase”, c’est la façon de les accueillir, de les approcher et de leur donner ce dont ils ont besoin. » Il poursuit :

Nous avons deux priorités : « restoring hope » et « rebuilding trust » [reconstruire la confiance et redonner de l’espoir, NDLR]. Nous devons faire avec des groupes hétérogènes : certains ont pu être victimes, d’autres pris dans quelque chose qui les dépassait sans trop comprendre vraiment. Certains ont pu commettre des crimes.

Il y a aussi le cas particulier des enfants-soldats. Quatre-cent sont passés par ce centre. Quatre d’entre eux sont ce jour-là répartis dans les groupes, mais ils ont préféré rester discrets et silencieux.

« On nous disait qu’il fallait éliminer les Tutsis »

Le centre est supervisé et financé par trois ministères, celui de l’Administration locale, celui de l’Unité nationale et celui de l’engagement civique et de la Justice. Le programme table d’abord sur la démobilisation. Pour commencer leurs premiers pas dans leurs habits civils, les pensionnaires revoient les savoirs basiques, dont l’alphabétisation. « C’est la priorité absolue, et c’est difficile parce que la plupart ne savent ni lire ni écrire, et parlent swahili. Ils ne connaissent ni le kinyarwanda, ni l’anglais [les deux langues officielles au Rwanda, NDLR] », explique Tsaviera Schadrack, l’un des managers de la formation. Viennent ensuite les questions de « citoyenneté » et de « civisme », pour comprendre et s’intégrer dans un environnement quitté il y a des années et devenu inconnu.

Pour les détracteurs de ces méthodes, cette déradicalisation et ce patriotisme au forceps s’apparentent à un endoctrinement pro-régime. « Indispensables » au contraire, répond Cyprien Mutoyi, avec un public qui a baigné dans l’idéologie génocidaire anti-Tutsi depuis trente et un ans.

Assis à proximité, un jeune homme volontaire pour témoigner se lève. Les traces de balles sur le haut de son crâne sont le résultat d’affrontements très violents avec le M23. Moïse Gahungu a 28 ans. Il est donc né après 1994, au Congo, où ses parents, Hutus, avaient fui. Il a été recruté de force par les FDLR : « On nous disait qu’il fallait éliminer les Tutsis parce que ce sont eux qui nous ont chassé du pouvoir. »

Moïse Gahungu, 28 ans, recruté de force par les FDLR (août 2025).
Moïse Gahungu, 28 ans, recruté de force par les FDLR (août 2025).
© Guillaume Brunero

Rentrés au Rwanda avant lui, ses parents l’ont convaincu de revenir il y a trois mois. Il s’est alors rendu au M23, malgré ses appréhensions : « J’avais peur parce que, au Congo, on nous disait que toute personne qui retourne au Rwanda est exécutée. Or ici, il n’y a pas de problème. »

Moïse n’a qu’une hâte : démarrer la deuxième phase du programme, « la réintégration ». Neuf mois de cours pour se former à la mécanique, sa grande passion.

Ni grilles, ni murs

Métiers manuels (mécanique, maçonnerie, soudure), agricoles ou artisanaux... Huit formations professionnelles sont dispensées. Par la fenêtre de la salle qui accueille l’apprentissage de la couture, les élèves peuvent voir les riverains des alentours traverser les lieux en coupant par les champs cultivés du centre. À Mutobo, il n’y a ni grilles, ni murs. Pas plus de policiers ou de soldats. Si on y « rééduque » de façon obligatoire, avec des horaires communs stricts pour les repas et les cours, l’atmosphère est plus proche d’un internat à la pédagogie très cadrée que du camp de redressement. C’est en tout cas la volonté affichée par Kigali : Mutobo doit être la vitrine la plus transparente possible de sa politique de réinsertion.

Son enseignement suit le calendrier académique. Les classes accueillent pensionnaires et élèves des villages environnants pour des formations professionnelles dispensées par des professeurs externes.

Gisèle Mutoniwabo a 38 ans. Tresses collées en arrière, elle se dit satisfaite de son arrivée, en juin. « Tout va bien, ici on se lave , on mange bien, on dort bien, on n’entend plus les cris des gens, on ne voit plus de mauvaises choses. » En trente et un ans de forêt en RD Congo, dont neuf au sein des FDLR, elle dit avoir vu trop de tueries et de cadavres pour vouloir en parler :

On nous montre qu’ici la femme a des droits et qu’elle peut faire les mêmes choses que les hommes. Ce n’était pas pareil au Congo, parce que la femme était sous les ordres des hommes.

Elle a encore quelques cousins dans la capitale. Bien qu’ils aient le droit de venir la voir le week-end, elle n’a pas osé leur faire signe, ni leur parler de son rêve : « Je veux ouvrir mon salon de coiffure à Kigali. » Pour y parvenir, à sa sortie du centre, prévue en 2026, Gisèle bénéficiera d’une aide financière. Pendant plusieurs mois, une commission de suivi vérifiera son accueil et son installation dans la communauté. Une manière pour l’État d’encadrer et de surveiller, du début à la fin, ces pensionnaires longtemps désignés comme des ennemis.

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1Bonaventure Bimenyimana parle, lui, de «  deux guerres  ».

2Conseil de sécurité des Nations unies, «  Lettre datée du 3 juillet 2025, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo  », 3 juillet 2025, le PDF est disponible ici.

3«  Rwanda to ‘maintain’ defensive measures against threats from DR Congo  », Africa Press, 10 février 2025, à lire ici.

4Bonaventure Bimenyimana parle, lui, de «  deux guerres  ».

5Conseil de sécurité des Nations unies, «  Lettre datée du 3 juillet 2025, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo  », 3 juillet 2025, le PDF est disponible ici.

6«  Rwanda to ‘maintain’ defensive measures against threats from DR Congo  », Africa Press, 10 février 2025, à lire ici.